Les magni-fics de Gaarbitsch !

Ceci est une histoire peu banale. Celle d’une crèche, mesdames et messieurs. Elle se déroule dans un futur proche, dans les bas quartiers d’une métropole qui d’ailleurs n’avait pas vraiment de quartier fréquentable, alors je me demande pourquoi je vous écris « bas quartiers ». Peut-être pour faire plus littéraire, je ne sais pas.
La crèche dont je vais vous parler était l’endroit où ont grandi le petit Louis, héros principal de cette histoire, et le petit Mouloud, méchant principal de cette histoire. Il y avait aussi Anne-Sophie, la blonde qui servait à rien. Mais pourquoi j’en parle, puisqu’elle sert à rien ? Moi-même, je m’en pose la question. Cette crèche était gérée par quatre personnes. Mais avant de continuer je vais écrire au présent de l’indicatif parce que l’imparfait risque de choquer les plus jeunes.
Bref… Cette crèche est gérée par quatre personnes. La directrice, Estelle, est une dame mystérieuse qui reste toujours enfermée dans son bureau. On ne la voit jamais. Du coup, je ne peux rien vous dire sur elle, puisque même moi je ne l’ai jamais vue. Ensuite, il y a Lucien. C’est un jeune stagiaire assez stupide mais que les enfants adorent. J’en conclue donc que les enfants sont stupides. Bien…
Après, on a Guillaume. C’est un puériculteur immature et fan absolu de Shrek. La malformation qu’il a à son nez l’a éloigné de toute personne civilisée et, après avoir marché sous la pluie pendant 3 heures sans manger, il a trouvé refuge dans la crèche. Depuis ce jour, il ne la quitte plus. Il est gentil, mais souvent saoul. Il aime le bon vin, le chinois, celui qu’on achète à l’hectolitre au marché aux puces.
Pour finir il y a Yvain, le plus vieux du quatuor. Il n’aime rien, sauf son pull rayé rouge et blanc qu’il affectionne tout particulièrement. Il déteste les enfants. Un jour, il en a jeté un par la fenêtre parce qu’il n’aimait pas ses cheveux. Il faut dire que Yvain est raciste. Il n’aime pas les roux.
Heureusement le petit roux est tombé dans un arbre. Il a eu les côtes cassées, un œil crevé, plusieurs points de sutures, ne pourra plus jamais marcher, mais au moins il ne mourra pas. Du moins, pas tout de suite…
La crèche est répertoriée dans ce qu’on appelle en ville le CRDMCDM, ce qui signifie Classement Régional Des Meilleures Crèches Du Monde. Oui, c’est parfaitement logique, un classement régional au niveau mondial ! En même temps, dans une ville pareille, il ne faut pas chercher à comprendre. Le taux de radioactivité est de 5.248 dans les rues. D’où les idées bizarres des gens, qui d’ailleurs ont parfois plusieurs cerveaux, étrangement.

La crèche dans laquelle se trouve le petit Louis n’a pas vraiment de nom officiel... Cela a été tellement difficile de cogiter là-dessus, surtout lorsqu’on sait à quel point une crèche est un endroit merveilleusement calme, où chacun peut réfléchir sans risquer d’entendre les cris de ces sales gosses !...
La crèche se situe dans un angle de rue, entre une boucherie qui pue et une boîte de nuit où ça gueule dans tous les sens. Guillaume, qui lors d’un jour donné n’était pas saoul, a proposé d’appeler l’établissement « crèche de l’angle ». Hélas, le CRDMCDM a refusé, décrétant que c’était un nom trop banal pour une crèche pareille.
La crèche se situe non seulement dans un angle, mais aussi dans un carrefour, proche de Grouginol, là, près des fabriques de la zone industrielle, ce quartier si peu fréquenté par les touristes, pour on ne sait quelle raison. Yvain, soufifre de Guillaume, voulait l’appeler « crèche du carrefour ». Le CRDMCDM était d’accord, mais pas Guillaume, du coup l’établissement avait juste une adresse fixe, c’était le « 66 rue de Grouginol ».
Autre détail, la crèche est dans une allée tristounette, vous savez, ce genre d’allée où personne ne marche. Les trottoirs étaient trop étroits, et les habitants ne taillaient pas leurs haies ! Aaaargh ! Du coup, on se prenait les branches dans la gueule en tentant de traverser, et c’était pas le pire ! Car ici, il n’y avait que des platanes. C’est l’arbre le moins cher, mais aussi le plus moche. Et un platane dans le front, eh bien c’est douloureux ! Combien de parents hospitalisés parce qu’ils ont empruntés l’allée de Platanes pour aller chercher leur enfant à la crèche. On ne les compte même plus.
Du coup, il n’y avait rien de surprenant à ce que le CRDMCDM refuse que la crèche se nomme « crèche des platanes ». D’après leur rapport, ça aurait fait baisser la fréquentation.
Et c’est là que Yvain eut une idée géniale : un soir, dans sa folie après avoir épuisé trois mètres de papier toilette pour s’essuyer le front, il courut vers Guillaume et lui demanda : « Pourquoi ne pas faire un melting-pot ? »
Guillaume, médiocre en anglais, ne comprit pas ce terme. Lorsque Yvain lui a dit qu’il comptait nommer la crèche « crèche du carrefour des platanes », ça l’a choqué. Et pourtant, le CRDMCDM était sur le point d’accepter !
Mais quelle ne fut pas la surprise de Yvain lorsqu’il apprit un matin que la crèche s’était trouvé un nouveau nom : « crèche de l’angle du carrefour de l’allée des platanes » ! C’est Guillaume qui l’a proposé. Le CRDMCD n’était pas très chaud, mais la grande puérilité de Guillaume a su les convaincre d’accepter.
Quel travail ! Et même avec ce nom parfaitement légal et catholique, la fréquentation baissait ! D’après ce qu’on savait, les jeunes mères étaient déstabilisées et incapables de retenir un nom aussi long.
La plupart d’entre elles allaient dans une autre crèche à 500 mètres de celle-ci. Elle était située sur un boulevard, le boulevard Pompidou. Vous savez, un boulevard long, avec des trottoirs larges, des boutiques, et des arbres taillés ! Pas une bordel de rue infranchissable avec une branche tous les trois centimètres !!
Et cette crèche, avait-elle un nom tordu, composé du nom de la rue, de la moitié du nom du restaurant chinois d’à côté, le Ôh-Mu-Chuh-Fukiko-Ta, et du nombre de bandes du passage piéton le plus proche ? Non ! La crèche ne s’appelait pas « crèche Pompidou-Ôh-Mu-Chuh-trente-trois » !! Elle avait un nom tout simple : « Crèche Pompidou » ! Ah, c’est sûr que ce nom n’est pas déstabilisant, surtout lorsqu’on sait que d’après le CRDMCDM, Pompidou était le président préféré des jeunes mères.
Voilà, du coup, la crèche de l’angle du carrefour de l’allée des platanes n’avait pas beaucoup d’enfants. Il y avait le petit Louis, dont nous reparlerons plus tard, un petit Mouloud, aussi marron que les crottes que font souvent les chiens devant la rue Grouginol, des jumeaux, Jacob et Jackie, et l'éternelle "blonde qui sert à rien", Anne-Sophie de Rochefouquaine.

Dans un futur proche, le soleil se lève sur une cité inconnue.
La brume matinale s’évapore petit à petit mais ne laisse pas pour autant sa place à un grand ciel bleu, les fumées des industries prenant la relève pour toute la journée. Tous ces gaz se heurtaient, se touchaient et semblaient danser ensemble au gré du vent de particules radioactives. Les quelques oiseaux téméraires qui osaient voler au-dessus de cette ville, bien souvent, s’asphyxiaient à une vitesse fulgurante et tombaient, telle une aura divine, sur les rues encombrées et embouteillées de la cité.
Les citoyens, heureusement, avaient sur eux tout le nécessaire pour continuer à vivre normalement en ignorant ces dangers qui surgissent de toutes parts. Certains étaient munis de parapluies spéciaux « anti grippe aviaire » pour lutter contre les pluies d’oiseaux morts, d’autres portaient des combinaisons moulantes très classes pour se protéger des radiations (en plus, on pouvait choisir la couleur), et enfin les plus aisés avaient sur eux un dispositif de recyclage qui capturait oiseaux morts et radiations pour faire de la musique. Vive le progrès.
Malgré toutes ces catastrophes qui rythmaient la vie de la riante métropole, le taux de natalité était incroyablement élevé. Il naissait un nombre hallucinant d’enfants, si bien que les maternités étaient vite surchargées et qu’on procédait à un bref tri : les bébés les plus laids étaient incinérés pour laisser leur place à des nouveaux-nés plus agréables à regarder. Tout fonctionnait bien, et tout le monde était content. Sauf les mères à qui on enlevait leur bébé, bien sûr, mais en guise de lot de compensation, on leur offrait une poupée pour qu’elles les traitent comme leur fille.
Cette vague de bébés absolument gargantuesque impliqua vite que la municipalité dut construire plus de crèches. Mais comme tout municipalité futuriste qui se respecte, celle-ci ne tint pas ses promesses. Et préféra augmenter les prix du GPL déjà assez cher à 5 euros le litre pour remplir les caisses de la ville déjà épuisée depuis longtemps par le remboursement de tous les emprunts qu’elle a contracté.
C’est pourquoi les crèches furent construites par des « sociétés de construction anonyme », non dépendantes de la municipalité, afin de satisfaire les besoins des citoyens.
La crèche dont je vais vous parler, d’ailleurs, est l’une de ces crèches bâtie à l’abri des regards. Elle n’est ni très populaire ni très accueillante, mais elle est là, et étant l’une des seules de son quartier, comptait beaucoup d’enfants…

Il est huit heures, mais les gérants sont déjà débout depuis six. Ils s’activent, réveillent les nouveaux-nés et s’empressent d’ouvrir les grilles afin de laisser entrer les jeunes mères. Ils sont quatre. Quatre personnes qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour gérer leur crèche et éviter que celles-ci ne ferme ses portes.
La directrice de la pension, Estelle Krotsatchov, est une dame bien mystérieuse. Elle reste toute la journée enfermée dans son bureau, qui se trouve au bout d’un sombre couloir à l’étage. Personne n’ose lui rendre visite. Personne non plus ne connaît son vrai visage, puisqu’elle ne sort jamais. Dans son bureau se trouve un système de leviers très perfectionné qui lui permet d’ouvrir les grilles et de dialoguer avec les autres gérants sans bouger de son fauteuil. Je ne peux pas vous dire grand-chose de plus sur elle, puisque personne ne l’a jamais vue.
Son second, Guillaume Patétik, et un jeune monsieur très doux à qui son nez disproportionné a créé des tas d’ennuis. Il a été rejeté de ses parents, de ses douze familles d’accueil et même de l’internat qui le prenait en charge. Oscillant entre la rage et le désespoir, il a parcouru toute la ville, en pleur, jusqu’à arriver à la crèche. Ayant pitié de lui, Estelle, qui l’observait grâce aux caméras, décida de le faire entrer. Guillaume vit ici depuis déjà cinq ans et ne regrette pas sa vie passée, même si à l’époque, paraît-il, le ciel était bleu. Etrange, tout de même. Mis à part ce passé mouvementé, Guillaume est un fan absolu de Shrek et regarde en moyenne deux de ses films par jour. Il a également le déguisement qu’il porte pour le carnaval. Sinon, il est passionné de vin et en boit très souvent. Son préféré est le chinois, celui qu’on achète à l’hectolitre dans toute bonne boutique spécialisée.
Le troisième gérant, Yvain Broutesèche, est une vraie tête de lard. Il n’aime absolument rien, n’a de passion pour aucune chose, ne se lie d’amitié avec personne, et passe sont temps à rouspéter sur son entourage, objets y compris. La seule chose qu’il apprécie, c’est sa marinière rouge et blanche qu’il porte tous les jours. On a beau lui dire de la laver, il refuse, disant que le lavage risque de faire partir la couleur. Il est aussi profondément raciste. Un jour, il a jeté le petit Victor par la fenêtre parce qu’il est roux. Et Yvain n’aime pas les roux. Heureusement, Victor s’est prit dans la gouttière et s’en est sorti, malgré sa colonne vertébrale cassée, son œil crevé et sa perte d’audition. Mais bon… l’important, c’est qu’il ait survécu. Une autre fois, il a poignardé un nouveau-né parce qu’il s’appelait Jean-Yves et que Yvain n’aime pas les gens qui ont un Y dans leur prénom. Il dit que ce sont des pédophiles. Et que lui, s’il a un Y dans son prénom, c’est parce que c’est un messie chargé de guider l’humanité vers un nouvel âge d’or.
Le dernier gérant n’en est pas vraiment un. C’est un stagiaire nommé Lucien Bardois, qui n’a que seize ans. Il aurait du retourner dans son bagne juste après sont stage qui devait durer deux semaines, mais, manquant de personnel, la crèche décida de la garder à temps plein. Cela fait déjà deux ans qu’il y travaille.
Il est assez mou et très peu réactif. Lorsqu’on lui donne un ordre, il met environ deux minutes pour l’exécuter : une minute pour constater que c’est à lui qu’on parle, et une autre pour décrypter ce qu’on lui a demandé de faire. Et quand il se déplace, c’est pas mieux ! Il est si lent qu’on a aménagé dans la crèche rien que pour lui une allée « véhicules lents » dans laquelle on l’oblige à marcher.
Lucien vit entièrement sur les réseaux sociaux d’Internet et ne les quitte pas. Il y a peu, il a été diagnostiqué hyperactif. Mais comme il n’a pas du tout l’air de l’être, la crèche a porté plainte contre le médecin qui a été obligé d’inventer un nouvel état rien que pour lui : hyperlentif.
Tout ce beau monde s’occupe donc de la crèche du mieux qu’il peut. Malgré ça, elle est loin d’être populaire chez les jeunes mères. Cela s’est déjà manifesté lorsque les gérants lui ont cherché un nom, car avant elle s’appelait juste « crèche »…

La crèche dans laquelle se déroule notre histoire n’a pas eu de nom officiel pendant plusieurs années, mais cela a changé il y a peu. Lui trouver un nom n’a hélas pas été facile, loin de là. La première proposition était de nommer cet établissement « crèche de l’angle », car celle-ci se trouvait dans un angle de rue. Mais elle fut refusée par le SNCF, le Siège National des Crèches Françaises. Il décrétait que « crèche de l’angle » était un nom trop banal pour un endroit pareil.
Guillaume, après réflexion, constata que la crèche n’était pas seulement dans un angle de rue, mais aussi dans un carrefour. Il proposa donc de l’appeler « crèche de l’angle du carrefour ». Yvain refusa tout de suite, en lâchant ses paroles les plus courantes : « Beurk ! C’est moche ! ». Pourtant, le SNCF était à deux doigts d’accepter.
Les gérants se mirent donc à inspecter les alentours afin de trouver un nom « cool » pour leur établissement. N’étant pas bêtes, ils ne se servirent pas de la station de retraitement des déchets radioactifs, juste en face, pour lui composer un nom. Il ne faut pas non plus pousser le vice trop loin.
Deuxième constatation : le chemin qu’empruntent les jeunes mères pour se rendre à la crèche est l’allée des Platanes. Une allée étroite et tortueuse passant dans les vieux corons miniers. Les habitants de ces corons, d’ailleurs, ont pris la mauvaise habitude de faire pousser plein de platanes dans leur jardin. Un des seuls arbres qui résiste à peu près bien aux radiations. Le problème avec ces platanes, c’est que leurs branches s’étendent dans toute la rue, et que du coup les passants se les prennent souvent dans la tête. Combien de jeunes mères hospitalisées parce qu’elles ont emprunté l’allée des Platanes pour aller chercher leur enfant à la crèche. On ne les compte même plus. Du coup, il n’y eut rien d’anormal à ce que le SNCF refuse la proposition de « crèche des platanes ». Un nom pareil, ça aurait fait fuir la clientèle !
Puis, un soir, Lucien, qui jusque là ne participait pas trop à la recherche d’un nom et qui ruminait dans son coin, hurla « Pourquoi ne pas faire un melting-pot ? ». Guillaume, médiocre en anglais, ne comprit pas ce terme, et répondit par « N’emploie pas des mots qui n’existent pas si tu veux devenir intelligent un jour. ».
Lorsque Lucien lui expliqua qu’il voulait mélanger toutes les propositions refusées pour former le nom, Guillaume explosa, en fulminant « Mais tu n’as pas honte de trouver pareilles idées à ton âge, adolescent ignorant et salace ? ».
Mais quelle ne fut pas la surprise de Lucien lorsque, deux semaines plus tard, la crèche prit un nouveau nom : « crèche de l’angle du carrefour de l’allée des platanes » ! Il se rappelle encore aujourd’hui du dialogue historique entre Guillaume et un envoyé du SNCF qui venait inaugurer la nouvelle pancarte de la crèche :
-Bravo pour cette trouvaille fantastique ! félicita le type du SNCF. Qui donc a eu cette brillante idée de faire un melting-pot ?
-Moi, répondit Guillaume. Vous savez, c’était dur de se concentrer avec toutes les inepties qui fusaient de part et d’autre de la crèche. J’ai eu des propositions vraiment choquantes ! Surtout le jeune, là : il a refusé MON idée de faire un melting-pot ! Mais avec un peu de patience, vous voyez, on trouve toujours.
-Magnifique, monsieur Patétik. Voici une médaille pour vous féliciter de votre intelligence.
Actuellement, Guillaume porte toujours cette médaille lorsqu’il se rend à une conférence, un gala ou autre. Il n’y est encore jamais allé, mais il a espoir. Depuis ce jour néanmoins, Guillaume et Lucien ne se parlent plus.

Un nouveau jour se lève sur la cité. Il est six heures, et déjà les rues sont encombrées de travailleurs surgissant de toutes parts pour aller au boulot, à l'usine, devant les tapis roulants, à répéter (et avec joie s'il vous plaît) le même geste toute la journée. Un groupe de ces ouvriers, justement, se rend à l'usine de retraitement des déchets toxiques, et se prépare à traverser la route. Les chauffeurs ne sont pas très courtois de nos jours et il faut avoir une sacrée dose de sang froid pour traverser sans encombres, mes ces gens-là sont habitués. Ils ont affronté bien pire. Ils attendent... parlent entre eux... quand soudain, le petit bonhomme du feu passe au vert. Les ouvriers reprennent leur sac et leur bouteille de soupe, commencent à traverser... quand tout à coup, avec une force extraordinaire et une vitesse hors du commun, un camion fonça à toute allure sur la chaussée, écrasant le malheureux groupe. Aucun ouvrier ne survécut. Comme quoi, de nos jours, un bonhomme vert ne suffit plus. Le hasard y est aussi pour beaucoup. D'ailleurs, il y a un jeu télévisé qui s'inspire fortement de ces accidents quotidiens, et qui se nomme " Traverser ou Trépasser". Celui qui arrive à traverser une autoroute à dix-huit voies sans se faire tuer gagne une voiture pour lui-même se mettre à écraser les prochains candidats. C'est très jouissif.
Enfin bon, tout ça pour dire qu'aujourd'hui, un camion a ôté la vie d'une dizaine d'honnêtes travailleurs. Ce camion, justement, se rend à la crèche de l'angle du carrefour de l'allée des Platanes pour y livrer une cargaison... d'enfants. Le véhicule se cala devant le portail et le chauffeur, ouvrant sa vitre, appuya sur un bouton. La voix d'Estelle, la directrice, résonna dans un haut-parleur:
-C'est pour quoi ? demanda-t-elle avec un ton encore jamais égalé.
-Votre livraison hebdomadaire, ma bonne dame, répondit calmement le chauffeur. Et on peut dire que vous avez de la chance ! J'ai reçu cinq enfants tous frais qui n'attendent que vos bons traitements.
-Ils viennent d'où, ces enfants ?
-Oh, la plupart viennent des quartiers cossus, au nord de la ville. Leurs propriétaires espèrent donc qu'ils auront droit à des traitements dignes d'un roi. Il y en a aussi un qui vient d'une cité à problèmes, au sud...
-Bien, entrez et garez-vous sur la place. J'appelle mes hommes pour qu'ils vous aident à décharger la marchandise.
Le camion se gara. Le chauffeur descendit et ouvrit sa remorque. Dedans, cinq petits poupons qui font paisiblement une sieste. Un peu plus tard, la porte de la crèche s'ouvrit et Guillaume et Yvain sortirent.
Yvain ne salua pas le chauffeur et contourna immédiatement le camion pour aller voir les enfants. Il les regarda, puis laissa sortir son opinion vis-à-vis d'eux:
-POUAH ! Qu'ils sont moches ! Dieu les a bien ratés, ceux-là !
Guillaume accourut.
-Arrête Yvain, la nature n'a juste pas été juste avec eux. Snif... Ce sont des gens aisés qui nous les envoient, nous devons bien les traiter.
-Quels connards ces riches.
-YVAIN ! Pour l'amour du ciel, arrête ! Ce sont des enfants !
Le chauffeur rejoignit les deux hommes.
-Le petit, là, nous a été envoyé d'urgence d'une cité à problèmes, au sud. On a dû lui mettre une muselière pour ne pas qu'il morde ses camarades. Je compte sur vous pour bien l'éduquer, ses parents sont des riches investisseurs en pétrole.
-Ah, fit Yvain, je comprends maintenant pourquoi il pue le mazout, ce gosse.
-Vous avez des problèmes ? lui demanda le chauffeur, éberlué.
-Oui, je suis allergique au pétrole. Je ne m'occuperai pas de ce môme. Vous comprenez, maintenant, pourquoi je roule dans une voiture au charbon synthétique ?
-Bien, conclut le chauffeur, je vous laisse donc les enfants. Ils ont un bracelet avec leur nom dessus. Je vous souhaite une bonne continuation !
Le chauffeur remonta dans son poids lourd et s'en alla. Les grilles de la crèche se refermèrent et Yvain, curieux, remonta les manches des enfants pour voir leur bracelet.
-Louis, Charles-Henri, Thérèse, Marie-Edwige...
Guillaume toussa.
-...et Mouloud. Hum hum.
-Yvain, fit Guillaume, nous devrions peut-être rentrer, Lucien a surement dû finir les tourtes.
-C'est dégueulasse les tourtes.
Et les deux hommes rentrèrent. Guillaume prit les deux filles dans ses bras et Yvain traîna les trois garçons en les tenant par les pans de leur manteau. Arriveront-ils à s'occuper de leurs enfants ? Pas si sûr...